Il y a 11 ans, disparaissait Na Cherifa, l’icône de la chanson populaire d’expression kabyle
Na Cherifa: Une Icône de la Musique Kabyle et une Pionnière de l’Émancipation Féminine
Le 13 mars 2014, Na Cherifa, de son vrai nom Ouardia Bouchemal, a quitté ce monde à l’âge de 88 ans. Ce jour-là, le monde de la musique kabyle a perdu une légende et une véritable pionnière dans le domaine de la chanson féminine. Na Cherifa, originaire d’Akbou dans la wilaya de Bejaia, a marqué l’histoire musicale par son parcours exceptionnel, sa voix captivante et son riche répertoire qui transcende les générations.
Na Cherifa est née en janvier 1926 dans le village d’El Main, situé dans la wilaya de Bordj-Bou-Arredj. Son enfance a été marquée par des circonstances difficiles, étant orpheline de père et de mère. Elle a connu les privations et la dureté du colonialisme en Algérie, ce qui a profondément influencé son art. Malgré ces défis, Na Cherifa a su exploiter son talent vocal et a commencé à chanter dès son plus jeune âge, se produisant souvent dans les champs tout en gardant des troupeaux de moutons.
À l’âge de 18 ans, déterminée à faire entendre sa voix, elle quitte son village natal pour s’installer à Akbou. C’est là qu’elle fait ses premiers pas sur la scène musicale, avant de déménager à Alger pour approfondir son art, notamment à la radio nationale où elle a poursuivi son parcours artistique. Cette période a été marquée par des concerts dans des lieux emblématiques comme l’Olympia et le Zénith à Paris, qui ont contribué à établir sa renommée sur la scène internationale. Na Cherifa est reconnue comme la mère du prélude "Achewiq", un style qui a enrichi la musique kabyle.
Son engagement social et politique est tout aussi remarquable. Na Cherifa ne se contente pas de chanter l’amour et la vie quotidienne de sa société, mais aborde aussi des thèmes engagés, en s’opposant au colonialisme. L’anthropologue Tassadit Yacine la décrit comme "une femme émancipée pour sa génération", mettant en lumière ses textes profonds et engagés. À travers son émission de radio "Urar l’Khelath", elle a révélé des créations féminines authentiques et a oeuvré à faire rayonner la culture kabyle.
Le riche répertoire de Na Cherifa compte près de 1 000 chansons, dont environ 800 sont officiellement répertoriées. Ses succès incluent des morceaux emblématiques tels que "Bqa aala Khir aya Akbou" et "Idak Erouh", qui continuent d’être célébrés et chantés par les générations successives. Ses chansons sont devenues des classiques, non seulement en tant qu’éléments de la pratique musicale algérienne, mais aussi comme témoins de l’évolution sociale et culturelle d’une époque.
Malgré son succès, Na Cherifa a connu des périodes difficiles, y compris des problèmes financiers qui l’ont poussée à quitter la radio. Après une courte période en France, elle est rentrée en Algérie dans les années 70, relançant alors sa carrière musicale. Son engagement en tant qu’artiste ne s’est pas limité à la scène. Elle a également consacré une partie de sa vie à aider les plus démunis, en particulier les orphelins qui lui rappelaient sa propre enfance difficile.
Elle a vécu à Alger jusqu’à sa mort en 2014, marquant ainsi la fin d’une vie riche en émotions et en contributions artistiques. La voix et les paroles de Na Cherifa continuent d’inspirer de nouveaux artistes, forgeant ainsi la mémoire collective d’un patrimoine musical kabyle vivant. Sa capacité à capturer les luttes et les aspirations de son peuple à travers la musique témoigne de son immense talent et de son engagement envers sa culture.
En résumé, Na Cherifa a laissé un héritage indélébile non seulement en tant que chanteuse, mais aussi en tant que symbole de résistance et d’émancipation. Son histoire, faite d’adversité et de triomphe, résume à elle seule l’essence des luttes des femmes dans un contexte de changements sociaux et politiques. Les échos de sa musique continueront à vibrer dans les cœurs et les esprits de ceux qui chérissent la riche culture kabyle qu’elle a contribué à façonner et à promouvoir.