« Chebah Sofra », un mets chargé d’histoire
La riche tradition culinaire de Constantine : Le Chebah Sofra
Constantine, une ville millénaire d’Algérie, est réputée pour ses ruelles pittoresques et son patrimoine culinaire, particulièrement marquant durant le Ramadan. Parmi les spécialités locales, le "Chebah Sofra" se distingue comme un plat traditionnel aux origines ancrées dans l’histoire de la ville. Ce mets, qui remonte à plus de 500 ans, est incontournable lors de la 27e nuit du Ramadan, période marquée par des célébrations et des cérémonies importantes telles que les circoncisions, la clôture de la récitation du Coran et l’observation de la Nuit du Destin, Laylat al-Qadr.
Le Chebah Sofra est souvent associé à une légende romantique de l’ère ottomane. Selon cette histoire, la fille de Salah Bey, un personnage historique, aurait créé ce plat pour honorer son père lors d’une réception. Elle aurait habilement associé des ingrédients raffinés comme le miel et les amandes, agrémentés d’épices et d’eau de fleur d’oranger. Séduit par sa présentation et sa saveur, Salah Bey aurait décidé de le servir sur la "Sofra", une grande table réservée aux mets de choix. Le nom "Chebah" fait référence à la forme artistique des morceaux, évoquant la beauté des bijoux portés par les femmes lors des grandes occasions.
Cependant, l’historienne Halima Ali Khodja, professeure retraitée et spécialiste du patrimoine, remet en question cette version. Ses recherches indiquent que le Chebah Sofra trouve ses racines dans la culture constantinoise, plus spécifiquement pendant la grande vague migratoire andalouse après la chute de Grenade en 1492, bien avant l’arrivée des Ottomans. Khodja souligne que Constantine a été le témoin d’une multitude de civilisations, comme les Numides, les Omeyyades, et les Zirides, ce qui a contribué à son identité culinaire unique. Malgré ces diverses influences, le Chebah Sofra continue de jouer un rôle central dans la gastronomie de la ville.
La préparation de ce plat est une tradition précieuse transmise de génération en génération. Au restaurant "Siniyet El Bey", le propriétaire Bey Ben Achour conserve cette tradition en façonnant le Chebah Sofra selon les méthodes authentiques constantinoises. Il souligne l’importance de l’équilibre entre le sucré et le salé, ainsi que la qualité des ingrédients, particulièrement les amandes qui sont essentielles à son succès. Les arômes de cannelle et de fleur d’oranger qui se répandent lors de la préparation évoquent des souvenirs des cuisines traditionnelles de Constantine.
Les récits personnels autour de la recette témoignent de l’attachement émotionnel des Constantinois à ce plat. Une vieille dame exprime fièrement avoir appris à cuisiner le Chebah Sofra de sa mère, soulignant l’importance de préserver cette tradition. Une jeune mère, également, souligne qu’elle enseigne la recette à sa fille, insistant sur la nécessité de transmettre ces savoir-faire aux futures générations.
En somme, le Chebah Sofra ne se résume pas à un simple plat, mais incarne un symbole fort de l’identité culinaire algérienne. À la veille de la 27e nuit du Ramadan, lorsque les familles se rassemblent autour de ce mets délicat, elles célèbrent non seulement la richesse de leur culture gastronomique, mais évoquent également une histoire de fierté et de noblesse qui mérite d’être transmise. Ce lien avec le passé permet aux Algériens de renouer avec leurs racines et de célébrer leur patrimoine à travers la cuisine, ce qui est essentiel pour l’identification et la préservation de cette tradition culinaire unique pour les générations futures.